INSPIRATION

Hiroshima, ville d’artisanat

Mazda Monde a envoyé le japoniste Steve Beimel rencontrer des artisans à Hiroshima, la ville natale de Mazda.

Temps de lecture 5 minutes

Bien qu’il existe des traditions artisanales dans le monde entier, rares sont les pays qui surpassent le Japon par le nombre et la qualité de leurs disciplines, véritables expressions supérieures de l’esprit humain qui se sont affinées au fil des siècles. J’ai choisi d’interviewer des personnes actives dans quatre métiers de l’illustre communauté artisanale d’Hiroshima : la céramique, la fabrication de pinceaux, l’artisanat de la feuille de métal et la fabrication des outils et des matrices chez Mazda. Chacune incarne un engagement fervent envers l’artisanat par le biais du tâtonnement expérimental. Examinons leurs produits, voyons leurs approches contrastées de la formation et écoutons leurs réflexions sur l’avenir de leur métier.

Rekiseisha : les alchimistes

Un chaleureux « Bienvenue à Rekiseisha » m’accueille lorsque je franchis les portes de cette entreprise du centre-ville qui, depuis un siècle, crée d’éblouissantes œuvres en papier recouvertes de feuilles de métal. Marchande de sabres il y a 400 ans, Rekiseisha est entrée dans le monde de l’artisanat raffiné du Japon lorsque ces armes sont devenues illégales en 1876.

« À force de tâtonnement, explique le directeur de la création Kazuyuki Kanetsuki, nous avons mis au point une feuille de laiton résistante à la décoloration comme substitut de l’or et un procédé pour fixer cette feuille sur le papier », ce qui a permis de réduire les coûts tout en élargissant le marché. Aujourd’hui, Rekiseisha produit dix types de feuilles – dont l’or, le platine, le laiton et l’étain – pour environ 1 300 modèles, et ses produits sont recherchés pour des utilisations telles que les tapisseries murales de grand et petit formats.

« Il faut environ dix ans pour devenir un maître de la feuille de métal capable de distinguer les subtiles différences de qualité. »

Kazuyuki Kanetsuki

Lui-même fils d’un artisan de Rekiseisha, Kanetsuki a été attiré par la passion de son père pour son travail. « Ayant grandi en voyant des travaux de feuilles décoratives à la maison, j’ai été inspiré par mon père, qui était si heureux et épanoui dans son travail. J’ai naturellement voulu travailler chez Rekiseisha. »

Kanetsuki a accédé à son poste après six ans de formation et d’expérience professionnelle. Il explique que la formation sur le tas permet aux employés de se spécialiser dans l’un des trois services : application de feuilles, application d’adhésif et de revêtements ou finition des produits. Pour vraiment maitriser son art, il faut de 18 mois à dix ans et Kanetsuki me dit qu’il « espère transmettre cette formation aux prochaines générations ».

« Rekiseisha est déterminée à faire évoluer sa gamme de produits et ses méthodes de production afin de s’adapter à un marché en perpétuelle mutation. Quant à moi, ajoute Kanetsuki, j’espère que mon amour de ce travail sera, un jour, une source d’inspiration pour mon propre fils. »

La gamme Soie ancienne de Rekiseisha associe des feuilles de métal et du papier washi traditionnel japonais à un motif irrégulier en soie, créant ainsi une surface douce et richement texturée. Cet artisanat exige une grande concentration, de la patience et de la sensibilité. La décoration à la feuille d’or est apparue vers 1600 dans les maisons des samouraïs des classes supérieures.


Pinceaux Kumano : une touche de douceur

Dans la ville de Kumano – préfecture d’Hiroshima – 2 000 personnes fabriquent 80 % des pinceaux japonais utilisés pour la peinture à l’encre, la calligraphie et les cosmétiques. Ces artisans, qui travaillent à domicile ou dans de petites boutiques, fabriquent des centaines de types de pinceaux dont le prix varie de quelques dollars à 5 000 dollars.

Ma première étape à Kumano est chez Houkodo. Tomoko Ihara, la présidente de cette société vénérable fondée il y a 116 ans, me raconte que son père était ingénieur chez Mazda avant d’entrer dans l’entreprise familiale. « Il a trouvé le même esprit artisanal en travaillant sur les voitures et les pinceaux. »

Suikou Kagawa, contremaitre chez Houkodo, compte 40 ans d’expérience et dit que, comme sa mère avant elle, elle a été formée sur le tas. Devenir un maître-artisan prend au moins dix ans et, chez Houkodo, « nous apprenons les 70 étapes simplement en regardant et en imitant ».

« On apprend très peu par la parole. En le faisant physiquement, on apprend par le corps. »

Suikou Kagawa

Je visite ensuite Chikuhodo, un fabricant de pinceaux pour maquilleurs et sociétés de cosmétiques. J’y apprends comment les pointes asymétriques des pinceaux naturels tiennent le maquillage et offrent un toucher doux pour une finition superbe. La créatrice de pinceaux Tamae Suenaga a passé 18 ans à perfectionner son métier et à mettre au point « une approche naturelle pour travailler les poils ».

Cependant, comme les marchés et les produits cosmétiques sont en constante évolution, elle cherche encore à s’améliorer. « Nous créons sans cesse de nouveaux types de pinceaux pour nous adapter aux produits cosmétiques qui arrivent sur le marché. Mon défi est de développer mes compétences au fur et à mesure que les pinceaux évoluent. »

Un secteur au poil

Le secteur des pinceaux de Kumano est né lorsque des agriculteurs itinérants ont rapporté des pinceaux de l’est du Japon et les ont vendus aux habitants pour arrondir leurs fins de mois.

La pointe des poils d’animaux non coupés est parfaitement formée et douce au toucher, c’est pourquoi seule la première coupe de poils est utilisée pour les pinceaux.

Tout est fait à la main, sans l’aide de machines : un couteau et un peigne suffisent pour enlever les poils mal fixés.

Les pinceaux Kumano sont très populaires et utilisés par des maquilleurs de renommée mondiale tels que Wayne Goss et Troy Surratt.

Kuugen Arimoto : l’art de la céramique

« La vaisselle shino a la douceur de la neige », déclare le céramiste Kuugen Arimoto, natif d’Hiroshima. « Jusqu’à l’âge de 28 ans, je n’avais aucun intérêt pour la céramique, lorsque j’ai vu la teinte douce d’un bol à thé shino créé par un maître : c’est comme si j’avais été frappé par la foudre. Fabriquer de tels bols est devenu ma motivation. » Ce « maître » était Arakawa Toyozo, un potier du XXe siècle, véritable trésor national. Après des années à poursuivre son objectif, Arimoto expose aujourd’hui en solo dans les plus prestigieuses galeries du Japon.

Le Shino possède une élégance simple : il ne nécessite que de l’argile blanche rare de type mogusa avec du feldspath blanc pour la glaçure. Juste de l’argile, un minéral et du feu. Pour réaliser sa vision de la douceur, Arimoto extrait et traite sa propre argile et son feldspath. « Il y a des années lors d’une randonnée, j’ai découvert par hasard une poche de mogusa et j’en ai fait rapporter 56 tonnes à Hiroshima, assez pour le reste de ma vie. »

« Je veux être au service des autres en créant des œuvres qui leur apportent une grande joie, au Japon et dans le monde entier. »

Kuugen Arimoto

Arimoto est un autodidacte qui s’appuie sur le tâtonnement et la recherche. Il préfère son tour manuel à un tour électrique afin que ses créations reflètent son énergie et son émotion. Pour obtenir le ton chaud du shino qui fait sa réputation, Arimoto cuit ses œuvres à basse température pendant cinq jours. Il détruit également 60 à 80 % de sa production, ne conservant que les plus belles pièces. « Je veux faire un travail qui inspire plusieurs générations. » Interrogé sur son objectif de créer un bol comme le grand maître, il sourit simplement et dit : « Ma quête continue. »


Mazda : les maîtres techniciens

Mon hôte chez Mazda est Chiharu Saeki, ingénieure technique au département des outils et matrices. Dans son laboratoire de recherche, Saeki explique le nouveau programme de formation de Mazda. « Il faut 20 ans aux techniciens des matrices pour devenir ce qu’au Japon nous appelons de ‘vrais maîtres’. Notre objectif est de réduire ce délai à cinq ans et d’augmenter considérablement le niveau de compétence de notre équipe. »

Parce que les matrices traduisent les dessins techniques en pièces de voitures réelles, elles sont au cœur des valeurs de Mazda, à savoir l’artisanat, le design artistique et l’innovation. « La qualité de nos voitures dépend de la qualité de nos matrices, qui sont basées sur la main et l’œil humains. »

Je regarde Saeki analyser les compétences grâce à l’analyse numérique du mouvement. Pendant qu’un technicien bardé de 41 marqueurs lumineux meule une pièce d’acier, une caméra de capture de mouvement mesure son activité musculaire, la répartition du poids de son corps, l’effort, la posture, l’angle du bras et les mouvements oculaires en ligne de mire. La pièce finie, le temps d’exécution et les données de la caméra sont ensuite comparés à ceux d’un maître-technicien avec 20 ans d’expérience, ce qui permet d’adapter la formation en conséquence.

L’art de la précision

« Le concept ‘l’âme du mouvement’ est ce qui m’a attirée dans le département Production des outils et matrices, et la façon dont il se manifestait par l’art, les compétences et la technologie des techniciens. »
Chiharu Saeki

Une caméra de capture de mouvements mesure l’effort musculaire, la répartition du poids du corps, l’effort, la posture, l’angle des bras et les mouvements oculaires.

Le nouveau programme de formation de Mazda analyse et évalue les compétences de base du département Production d’outils et matrices : finition et évaluation de la qualité.

Cette année, le programme a remporté le prix de la technologie de la Société japonaise d’ingénierie de précision.

« Plus que produire un simple objet en série, la mission de la division Production de Mazda est de fournir quelque chose de sophistiqué, de beau et d’élégant. »

Chiharu Saeki

Saeki me dit que cette formation a déjà réduit le parcours de maître de vingt à dix ans, tout en réduisant le parcours de débutant/intermédiaire de sept ans à deux ans. Jusqu’à présent, le niveau de compétence était déterminé par l’ancienneté des employés et les observations des contremaitres. Aujourd’hui, il est basé sur la qualité du travail.

Lorsqu’on lui demande ce qui l’a attirée chez Mazda, Saeki répond : « Mon grand-père était menuisier. Chez nous, on respectait et admirait les artisans. C’est ce même esprit qui me pousse à encourager les meilleurs artisans à exécuter fidèlement le design de ’l’âme du mouvement’ dans chaque voiture produite. Chez Mazda, une voiture n’est pas un simple assemblage d’acier, mais plutôt une sorte d’œuvre esthétique avec un sentiment de vitalité, d’être vivant. »


Texte Steve Beimel / Images Eric Micotto

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