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L’ART De l’HIKARU DORODANGO

L’art de l’hikaru dorodango connait une résurgence dans le monde entier et nombreux sont ceux qui tentent d’égaler l’habileté de ceux qui le pratiquent le plus : les écoliers japonais.

Les takumi japonais sont des maîtres artisans qui consacrent leur vie au perfectionnement de leur métier. Cette quête de l’excellence est présente dans tout le Japon, des couteliers de Seki aux céramistes d’Arita et, bien sûr, dans les ateliers de Mazda à Hiroshima. C’est un état d’esprit typiquement japonais, et pour le comprendre, il faut commencer non pas par l’établi de l’atelier, ni par la forge, mais par la terre, dans la cour de récréation à l’école.

Dans tout le Japon, les écoliers s’adonnent à une activité patiente et presque méditative connue sous le nom de hikaru dorodango – la réalisation d’une sphère parfaite en façonnant et en polissant de la boue. Cette expérience de l’enfance, qui consiste à rechercher la perfection et à accepter une satisfaction différée, est le fondement de la prochaine génération d’artisans et, en fin de compte, de takumi.

Aujourd’hui pratiqué dans le monde entier, cet art a été redécouvert par le professeur Fumio Kayo dans une crèche de Kyoto.

Sous sa forme la plus simple, ce loisir consiste à façonner une sphère parfaite à partir de trois éléments : terre, eau et air. Pour ceux qui le prennent plus au sérieux, il s’agit d’une expérience physique et mentale de plusieurs semaines qui fait intervenir le pH, la densité variable des sols et une patience à toute épreuve. Son apprentissage est ardu pour ceux qui cherchent à le maîtriser et, à l’instar de nombreuses innovations japonaises, il a séduit un public international d’artistes, jeunes et moins jeunes, qui s’efforcent de créer un dorodango parfait et étincelant.

Pourtant, malgré sa popularité actuelle, l’art du dorodango aurait disparu sans les efforts de feu le professeur Fumio Kayo, un psychologue spécialiste des jeux d’enfants. On considère que c’est lui qui a sauvé cette forme d’art des oubliettes après l’avoir découverte dans une crèche de Kyoto. Fabriquer des « orbes de boue brillants est un vieux passe-temps de la jeunesse japonaise », écrivait-il en 2016, après l’avoir observé dans le cadre de ses recherches. « Cependant, il y a environ 10 à 20 ans, avec les progrès des jouets du commerce, le passe-temps des boulettes de boue était sur le point de disparaître. »

En utilisant différents types de sol et de terre, les artistes peuvent créer un hikaru dorodango unique.

Aujourd’hui, l’attention se tourne vers l’Amérique et Bruce Gardner, un résident d’Albuquerque qui est souvent considéré comme le chef de file du dorodango moderne. En organisant des ateliers en ligne avec des artistes de pays aussi lointains que la Nouvelle-Zélande ou l’Afghanistan, il est déterminé à préserver le patrimoine de Kayo. « Ce dernier a pratiquement relancé à lui seul cette forme d’art dans le monde entier, souligne Gardner. Il évoque des cas d’enfants qui avaient une réserve de terre secrète, choisie avec soin, pour leur dorodango. »

Comme l’a montré le professeur Kayo, en dépit de ses principes élémentaires, l’art de créer ces « boulettes de boue brillantes » peut rapidement s’avérer complexe. « Cette activité a de nombreux adeptes car c’est un retour aux sources », explique Gardner, qui préfère éviter de tester le pH et de recourir à des calculs complexes. « Je n’ai pas l’esprit scientifique. En général, j’adopte une méthode prudente… [mais] je pense qu’il s’agit simplement de suivre son instinct. »

Bénéficiant du « sol idéal » d’Albuquerque, au Nouveau-Mexique, Bruce Gardner collabore régulièrement avec d’autres artistes hikaru dorodango de la planète.

« Certains ne comprennent pas du tout le concept », explique-t-il lorsqu’on l’interroge sur la manière dont est perçue cette forme d’art marginale. « Mais lorsque l’on se met à créer une sphère de boue, très vite un déclic se produit et, soudain, cela devient quelque chose qui interpelle. » De plus, l’acte de créer une œuvre d’art remarquable peut rapidement se transformer en un acte qui améliore le bien-être mental. « C’est presque une nécessité pour moi ; c’est ma méditation. J’y consacre cinq minutes et je trouve une solution à un problème, explique-t-il. L’esprit est actif et mobilisé. C’est une activité très relaxante. »

Si Bruce continue de perfectionner son art – « chaque fois que j’essaie un nouveau type de terre, je dois apprendre ses propriétés et moduler ma technique » – ce sont encore les écoliers japonais qui, dans une certaine mesure, maîtrisent le mieux le dorodango. Dans un article publié dans Tate en 2002, l’auteur William Gibson décrit les mesures plutôt drastiques prises par le professeur Kayo pour égaler leur talent. « Il lui a fallu 200 tentatives et une analyse au microscope électronique pour reproduire les résultats des enfants et parvenir à un dorodango à l’éclat acceptable. »

« Pour moi, c’est presque une nécessité, c’est ma méditation. »

Bruce gardner

CRÉEZ votre DORODANGO HIKARU

Cela vous a inspiré et vous êtes prêt à relever le défi? Afin de mieux comprendre la motivation des talentueux artisans japonais, Gardner propose aux débutants une méthode en cinq étapes pour créer leur propre hikaru dorodango. Attention, résultat non garanti…

1ère ÉTAPE : LA BOUE Dans un récipient propre, ajoutez de la terre à de l’eau. Commencez par une petite quantité de terre, mélangez, puis ajoutez lentement de la terre jusqu’à ce que la boue atteigne une consistance homogène, comme de la pâte à cookies.

2e ÉTAPE : LE NOYAU Commencez par lui donner la forme d’une sphère avec les deux mains, en expulsant le maximum d’eau. Éliminez les irrégularités en la secouant doucement. Les vibrations éliminent les bulles d’air, augmentent l’humidité et facilitent le compactage. Passez à l’étape 3 lorsque la boule devient collante au toucher.

3e ÉTAPE : LA CAPSULE La boule dans une main, saupoudrez-la de terre avec l’autre. Avec le pouce, balayez doucement l’excédent en faisant tourner la boule. Cette terre sèche absorbera l’humidité de la surface. Travaillez la boule de façon à ce qu’elle conserve sa forme, sans qu’elle sèche au point de se fissurer.

4e ÉTAPE : LA COQUE Passez votre main dans de la terre tamisée et appliquez les fines particules qui collent à votre main sur la surface du dorodango. Répétez l’opération jusqu’à ce que la surface soit lisse ou que les particules n’adhèrent plus.

5e ÉTAPE : POLISSAGE ET SÉCHAGE Polissez à l’aide d’un chiffon doux, avec précaution si la boule est encore humide, pour ne pas abîmer la surface. Polissez ou lustrez plus vigoureusement une fois la boule sèche. On peut utilisez un bol en verre pour comprimer la surface et obtenir une plus grande brillance.


Texte Ed Cooper / Images Buck the Cubicle

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